Je suis né à la fin de la dernière guerre contre l’Allemagne. C’était un monde où il y avait peu de monde et qui était comme il était. C’était un monde où l’on pouvait espérer. C’était un monde où l’on marchait. C’était un monde où on écrivait les lettres que l’on postait. C’était un monde où l’on courait au cinéma le dimanche pour voir des films en noir et blanc et en technicolor et où la fin était souvent le cartoon : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. » et qui ne proposait jamais la suite. C’était le monde où mon père m’a emmené à l’opéra pour voir et écouter « Manon Lescaut » de Puccini. J’ai beaucoup dormi. J’avais 8 ans. Je me rappelle seulement que le ténor - de la Scala de Milan - était tout petit et se mettait sur la pointe des pieds pour chanter ses contre-uts qui étaient beaucoup applaudis. Et c’est sans doute grâce à lui que je suis entré au conservatoire et que je n’ai plus jamais quitté la musique. Ce matin, à mon réveil, j’ai pensé très fort à Kafka et a sa nouvelle qui décrit la métamorphose de Gregor Samsa,, un représentant de commerce qui se réveille un matin transformé en un monstrueux insecte et je me suis demandé si j’étais bien dans le monde que j’avais quitté la veille ou si c’est moi qui avais subitement changé. J’ai eu une forte prise de conscience que ce monde n’était plus le mien que je n’avais vraiment rien à y faire. Le Roi de France, sa cour de crapauds baveux, son opposition ignorante, le peuple courbé incapable d’avoir une opinion ; Covid qui n’en fait qu’à sa tête pour que l’homme injecte à l’homme le produit chimique qui va irrémédiablement le tuer ; pour que l’homme ne puisse plus toucher, caresser, copuler ; pour qu’il cache en permanence son visage ; les femmes et leurs révolutions de pacotilles, les races qui ne sont plus des races, mais qui en sont puisque, comme les inadmissibles religions, elles perpétuent les guerres. Et je pourrais continuer très longtemps ainsi. Tous les matins, je rends visite à mon puits au fond de mon jardin et, ce matin encore, ça grouille, ça grouille, ça grouille de plus en plus activement dans le noir de son fond. Là ont chuté toutes les inconsciences imbéciles que la terre peut porter. Elles grouillent en grossissant à vue d’œil. Elles se multiplient en grouillant de plus en plus fort, de plus en plus férocement. Non, ce monde n’est pas mon monde. Il ne me reste plus qu’à trouver la porte pour le quitter, le fuir sans une once de regret.