mardi 25 mai 2021

le puits au fond du jardin • les pédagogies détournées des structures fissurées des écoles de musique







L’école de musique est le lieu commun de cinq partenaires indissociables : le parent d’élève et son exigence, l’élève et sa motivation, le professeur et sa compétence, le directeur et son imagination, le politique et sa peur schizophrénique. Il faut donc concilier l’inconciliable en associant la musique exploitée dans ses multiples éléments, la pédagogie privilégiée dans son lien social et culturel et la politique des élus frileux et hantés par la perte de leur pouvoir. Les écoles qui ont assimilé ces différentes composantes se font rares et sont en voie de disparition. Elles sont invisibles. Les autres, infiniment majoritaires, sont multiples et fleurissent à chaque coin de rue. Elles ne servent à rien, mais elles sont visibles.

Si l’on considère que le but initial de l’établissement spécialisé est de faire découvrir la musique, en imprégner l’élève, lui apprendre à l’utiliser, à la malaxer, à la construire, à la maîtriser, à l’interpréter en la lisant couramment par l’application d’un enseignement intelligent, rigoureux, courageux, sans concession, demandant un effort constant et permanent de la part de chacun des partenaires associés et d’imposer une méthode de contenus, appliquée rigoureusement avec une méthode de travail élaborée, constante et progressive, on ne peut que constater l’échec cuisant actuel et en tirer les conclusions qui s’imposent, en remettant en vigueur l’enseignement du nom des notes et des trois éléments fondamentaux que sont leur durée, leur hauteur et leur intensité, afin d’acquérir dans les délais les plus brefs, l’autonomie nécessaire à la lecture et à l’interprétation de toutes partitions.

L’ère de l’amusement et de la perte de temps a fait suffisamment de ravages. Enseignons ou laissons les enfants vaquer à d’autres occupations.




Le parent d’élève, c’est la maman qui se présente au secrétariat pour exiger l’inscription de son enfant dans la classe instrumentale qu’elle a choisie en fonctions de critères bien définis et dont elle a le secret : le piano, pour justifier la présence inutile du vieux meuble qui orne son salon et parce qu’avec un seul doigt on peut en sortir un son, ou la flûte à bec pipeau en plastique, en raison de son coût modique. Surtout pas le violon, parce que ça grince et ça joue faux, ça fait mal aux oreilles et ça dérange papa lorsqu’il rentre de son travail, très fatigué. Et puis surtout, et c’est primordial, maman ne veut pas entendre parler de professionnalisme alors qu’elle en rêve secrètement. Son enfant ne vient ici que pour son plaisir personnel - il aime tellement la musique ! - « jouer » sans se fatiguer et sans traumatisme, et elle y veillera.

Elle feint d’ignorer la contrainte du travail journalier que demande un instrument pour progresser, et l’administration se garde bien de l’en informer. L’élu surveille, il faut remplir la maison.





L’élève est soumis ou indépendant. Il suit sa maman ou décide lui-même et ce n’est pas plus mal. Le problème c’est que la plupart du temps, c’est de la guitare qu’il veut jouer, électrique… ose-t-il parfois avouer. C’est bien normal puisque c’est le seul instrument (re)présenté à la télé. Il le voit sur l’écran, c’est facile à jouer, ça fait beaucoup de bruit et c’est très applaudi avec une horde de cris. S’il est déterminé, lui expliquer qu’il s’agit d’un instrument primitif pour imbéciles incompétents, ça ne sert à rien. Il faut le laisser faire. Il jouera pendant des années un ou deux accords de plus en plus forts, de plus en plus laids et se satisfera de cet état d’infirmité.

Mais s’il n’a pas de préjugé, on peut tout lui demander et il peut tout faire si on sait l’écouter. Mais comme il est changeant, impulsif et très sollicité, c’est la concentration qui va le pénaliser. Aussi, seule la conviction d’un professeur admiré peut l’aider dans sa démarche en l’accompagnant et en créant le lien social et affectif qu’il attend.

Sa difficulté essentielle sera le langage musical. Il devra apprendre la technique d’une langue qu’il n’entend jamais, parallèlement à une technique instrumentale contraire aux automatismes de son propre corps. Quelque soit l’instrument, il devra acquérir une dextérité et une souplesse dont aucun des gestes n’est naturel, et c’est seulement l’effort constant et journalier qui lui permettra de faire face aux difficultés. C’est avec la complicité professeur-parent que sa réussite sera rapide et confirmée.




Le professeur est l’identité visible de l’école de musique. C’est lui qui enseigne, c’est à lui que l’on s’adresse. Il renseigne comme il enseigne, selon sa conviction ou sa capacité. Des convictions, il en a, il n’a même que ça, des bonnes, des moins bonnes et des mauvaises, mais quelque soit le cas de figure, il « sait » comment enseigner : si l’élève ne comprend pas, c’est qu’il ne travaille pas.

Il a la fâcheuse habitude de trop souvent oublier que son principal souci doit être l’autonomie qu’il se doit de faire acquérir à l’élève, pour qu’il puisse au plus tôt, seul chez lui, mettre en pratique ce qu’il lui a appris. Si le professeur y met volonté et passion, c’est seulement au bout de quelques années qu’il aura compris ce qu’est l’enseignement, parce que ce qu’on lui a appris, ce n’est que de la théorie de bureaucratie.

Curieusement, dans son école, les cours sont donnés sous la forme de leçons particulières. L’élève est seul, le professeur ne s’occupe que de lui, sans imaginer un seul instant que les bons conseils qu’il lui donne, pourrait profiter à d’autres. Mais cela l’arrange, même si, au bout d’un certain temps, ça engendre l’ennui. Et puis, entre les absences, les maladies et les épidémies, ça lui laisse du temps, non pas pour travailler son instrument, mais pour hanter les couloirs afin de prendre la température du moment auprès de ses collègues et raconter la dernière du directeur. Mais si discourir l’ennuie, il préfère user de son portable (avant il allait au secrétariat), pour combler les trous laissés par les absents, afin de rentrer au plus tôt chez lui, ceci au mépris de l’administration qui le paie pour un nombre d’heures hebdomadaires précises et non pas pour l’enseignement.

Certains directeurs, des fous furieux probablement, lui ont proposé de s’adapter à la pédagogie de groupe, qui est une des rares méthodes qui mérite l’exploration. Mais, bourré de préjugés, il ne croit pas à son efficacité. Alors à quoi bon ? il laisse tomber. Et, s’il en a compris les avantages, très vite il s’aperçoit qu’il faut beaucoup de courage et de ténacité pour ne pas se fatiguer : trois élèves travaillant ensemble pendant une heure et demie sans pouvoir souffler un instant, c’est très épuisant. Alors, exit l’efficacité, il faut mieux abandonner et revenir à son petit plan-plan.

L’enseignement ne peut passer que par la méthode progressive, papier et pédagogique. Encore faut-il y réfléchir, la trouver et l’appliquer. Et ce n’est pas simple pour le professeur qui n’y est pas entraîné, qui ne veut pas se faire aider et qui fait l’objet d’une critique régulière qu’il a souvent cherchée. C’est donc l’absence de méthode qui va le perdre et décourager l’élève qui ne peut s’y retrouver.

Enfin, le professeur doit observer l’élève et lui faire remarquer tout ce qui peut nuire à sa progression. Ici, la lâcheté est souvent de mise, car l’élève est susceptible – un peu moins que le professeur – et risquerait de le lâcher. Je connais certains professeurs, de piano notamment, qui ne s’inquiète nullement du cas d’élèves avancés, musiciens, intéressants, qui jouent avec beaucoup d’intérêt et de musicalité, Beethoven, Schubert, Debussy ou Ravel, sans savoir lire la moindre note. Ils ne connaissent que les doigtés. C’est difficile à croire et pourtant, ils sont très nombreux. Par contre ils « improvisent » ! Il y a aussi des professeurs spécialistes des tris, par le découragement systématique des élèves n’ayant pas grâce à leurs yeux pour raisons diverses, manque de travail ou manque de sympathie, ne gardant ainsi dans les rangs, que l’élite savamment choisie. Il y a enfin le professeur de violon ou de violoncelle qui s’est mis dans la tête qu’il est tout à fait normal qu’un élève joue faux pendant des décennies, ce qui signifie qu’il ne jouera jamais juste. Expliquer au professeur que c’est dès le premier jour qu’il doit exiger la justesse, et l’obtenir, le scandalise et le rend fou. Au bout de quelques années, il en perd l’oreille et prend son directeur pour un maniaque déjanté. Et pendant ce temps, l’élève continue a égrainer ses fausses notes sans même savoir qu’il ne sait pas jouer.




Le directeur est l’âme invisible de l’école. Il se rend visible de temps à autre et chacune de ses apparitions, même souhaitée, est redoutée. Sa force, c’est sa conviction, sa manière de transmettre ses idées et de les faire respecter, d’une part, par son patron, le maire, qui n’en a rien à faire et qui réagit seulement et négativement à la vue des budgets suggérés, et d’autre part, ses subordonnés, les professeurs qui le considèrent ou le méprisent en fonction de son caractère et des pédagogies qu’il veut imposer.

Il ne sera respecté qu’en fonction de sa compétence, qui doit être totale et inébranlable. Il doit être incollable et avoir réponse à tout. La culture et la pédagogie doivent être son arme naturelle pour vaincre et s’attirer les sympathies. Les professeurs compétents alors le reconnaîtront et l’harmonie règnera dans la maison. Si le directeur rencontre l’incompétence, il doit la combattre vaillamment, sans arrières pensées et laisser le professeur devant ce double choix : la formation ou la porte. Mais il se doit de reconnaître le professeur de qualité et celui qui fait des efforts pour y accéder, les encourager et leur faire confiance. C’est avec eux qu’il doit partager ses idées et mettre en place les pédagogies nécessaires pour l’efficacité.

Il ne doit pas tolérer les méthodes illusoires de la facilité, faites pour amuser. Les détours et les mensonges sont à bannir parce que la seule vérité est que l’apprentissage de la musique est difficile et ne s’acquière que par le travail, le courage et la volonté. Il faut interdire les stupidités : formation musicale, improvisation, musiques actuelles et diverses autres niaiseries qui prennent à l’élève le temps qu’il doit consacrer aux seules matières efficaces : le solfège – savoir déchiffrer un texte musical en chantant et en battant la mesure – et la technique de son instrument – gammes, arpèges, et autres exercices – pour en jouer naturellement.

Au lieu de perdre son temps en réunion avec ses collègues des autres établissements, le directeur doit s’entourer de pédagogues confirmés, spécialistes ou généralistes, qui, ayant fait l’inventaire de la maison, soient capables d’entamer une collaboration guidant et conseillant sur ce qu’il y a de mieux à faire. Le directeur doit aussi administrer, ce qui veut dire organiser méticuleusement une maison ou souvent, l’anarchie règne en maître, et dans ce domaine, n’écouter que sa raison, quitte a déplaire.

Tout ce travail ne peut se faire que si la ligne budgétaire est en adéquation. Tout se paie. L’école a un coût élevé en matériel et en salaires. Il faut donc obtenir l’adhésion du maire, ce qui n’est pas une mince affaire, pour le recrutement et l’achat du petit crayon au grand piano à queue de concert. Il doit donc convaincre l’élu et pour cela bien le connaître afin d’engager un combat à égalité. Il faut toujours se battre avec la même arme que l’adversaire. Ici, c’est le mensonge. Il doit donc mentir, surtout sans rougir et inventer les arguments susceptibles de toucher la corde sensible. C’est sa seule chance d’obtenir ce dont son établissement a besoin pour vivre ou le plus souvent pour survivre. Le directeur qui pense le contraire et qui est donc dans l’erreur, c’est celui qui courtise, courbe l’échine et se prostitue en léchant les bottes de l’élu. Il n’obtiendra dans ces conditions, que restes et mépris.

Le directeur a tous les pouvoirs et n’en a aucun. Seule sa personnalité et ses hautes compétences professionnelles feront de son école un lieu privilégié où l’on apprend sans perdre son temps.

Enfin, se pose une dernière question : le directeur, qui est-il ? Généralement, c’est un musicien aigri qui a échoué, un instrumentiste d’orchestre lassé ou viré, un compositeur non joué, un opportuniste incompétent et ambitieux, un chef d’orchestre frustré avide de pouvoir et ne sachant pas dirigé. Mais ce peut-être aussi, cela arrive, rarement, un homme sincère, cultivé, connaissant toutes les matières nécessaires pour son métier, ayant le désir de faire avancer intelligemment des projets authentiques dans l’efficacité, pour que les nouvelles générations puissent se nourrir de musique, de la vraie musique, la musique classique oubliée et très souvent enterrée, et vivre pleinement leur passion en amateur ou professionnel éclairé. Le directeur digne de cette fonction , ce n’est que cela.





Le politique, dernier nommé mais primordial dans le concert de ce quintette indissociable, c’est le maire de la ville où l’école est implantée. Son art n’est pas celui de la musique mais celui de courtiser ses électeurs pour mieux les conserver. Son action n’a d’importance que si elle est visible aux yeux du monde entier. C’est lui qui détient l’argent, il en a beaucoup, et c’est lui qui le répand, à son gré. C’est pourquoi il est le roi, le maître absolu et entend le rester. Et c’est aussi pourquoi, à ses yeux, la musique n’a que l’importance qu’une infime minorité veut bien lui donner.

Il s’est toujours demandé pourquoi l’état l’a affublé d’une telle calamité qui ne lui attire qu’ennuis et contrariétés. Et s’il en a si peur, c’est que l’art n’est accessible qu’aux esprits élevés. Son mot d’ordre est la démagogie : ouvrir, rassembler pour faire croire d’exister. Mais pour nous c’est se trahir et tout le contraire de ce qu’il faut faire : prendre sa liberté au risque de se faire virer.



 Hervé Gallien, 9 mai 2008

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