Hier, pendant que sur toutes les télés du monde, le monde s’abrutissait en regardant ceux qui courent ou nagent le plus vite, ceux qui sautent le plus haut, ceux qui frappent le plus fort, ceux qui lancent des marteaux ou des javelots, ceux qui frappent sur des balles de ping-pong ou de tennis, ceux qui se frappent à coups de poings, ceux qui propulsent des balles avec les pieds ou avec les mains, ceux qui font d’autres choses dans le même genre, hier, disais-je, sur Mezzo ou Classica – je ne me souviens plus -, j’ai revu Claudio Abbado dirigeant à Lucerne la monumentale 2e symphonie de Gustav Mahler. J’ai vu le visage, le regard, l’expressivité de l’immense chef happer le regard de ses incroyables instrumentistes et construire avec eux, sans la moindre faille et dans le partage le plus absolu, l’architecture de l’œuvre et la fixer pour l’éternité, sur ses fondamentales. Ceux qui ont eu la chance d’être dans la salle, auront vécu un moment historique, historique par l’interprétation mais aussi par ce moment éphémère de liberté, de démocratie, d’accord authentique entre les êtres, de communion parfaite entre la scène et la salle, de bonheur profond et sincère, qui ne peuvent que demander à réfléchir. À Lucerne, l’émotion naturelle dans un monde de paix. Dans les télés, les fracas de la lutte pour la première place, l’hystérie et la bestialité des jeux du cirque.