vendredi 4 mars 2022

le puits au fond du jardin • la censure imbécile…

Boris Godounov à l'Opéra de Paris




 

Alors que l'Opéra de Varsovie vient de décider de déprogrammer Boris Godounov de Moussorgski au prétexte que c'est un opéra russe, Christian Merlin, chroniqueur à France-Musique, revient sur l'épineuse question d'interdire des œuvres musicales et de les réduire à une seule signification univoque :

 

« La décision de l’Opéra national de Varsovie de déprogrammer Boris Godounov au prétexte que c’est un opéra nationaliste russe est une faute autant qu’une erreur. Dans les mesures de rétorsion auxquelles on assiste dans le domaine culturel, il faut plus que jamais garder la tête froide et savoir de quoi l’on parle.

 

Il est essentiel de faire une distinction précise entre :
- les institutions émanant de la puissance publique d’un État agresseur
- les artistes individuels, cas beaucoup plus délicat et nécessitant là encore de bien faire la différence entre les quelques soutiens affichés d’un régime combattu, et la majorité silencieuse d’artistes qui n’y sont pour rien et dont beaucoup hésitent à s’exprimer dans un régime autoritaire où la liberté de parole se paie cher
- les œuvres qui appartiennent au patrimoine commun et dépassent leur appartenance nationale, le propre des grandes œuvres étant de ne pouvoir être réduites à une signification univoque, à moins de faire preuve d’une vision à courte vue.

 

Ainsi de Boris Godounov, très mauvaise cible tant le personnage principal de l’opéra de Moussorgski n’est pas le Tsar mais bien le peuple russe, dont Moussorgski, progressiste et libéral, est solidaire, tandis que les milieux dirigeants sont présentés dans cet opéra comme sanguinaires ou corrompus : on peut rêver plus nationaliste !
Quant au Philharmonique de Zagreb, qui a déprogrammé une symphonie de Tchaïkovski, il se trompe encore plus de cible. Car Tchaïkovski était justement stigmatisé et raillé par les musiciens du Groupe des Cinq (Moussorgski, Rimsky-Korsakov, Borodine, Cui, Balakirev) comme n’étant pas assez russe, trop européen, trop occidental… Plus que jamais il est essentiel de garder le contact avec la culture et la langue russe et leurs représentants d’hier et d’aujourd’hui. Le meilleur message étant celui envoyé par cette soprano ukrainienne et cette mezzo russe qui se sont longuement étreintes lors des saluts à la fin d’une représentation d’Aida au San Carlo de Naples.

 

Tout comme Saint-Saëns voulant interdire la musique allemande en 1914 (Ravel a refusé de signer alors qu’il était au front), boycotter les œuvres revient à s’aventurer sur un terrain glissant car quand on commence à interdire les œuvres, non seulement on mélange tout, mais on utilise les armes que l’on dénonce chez l’adversaire et ce n’est jamais de bonne politique. »


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