|
Boris Godounov à l'Opéra de Paris
|
|
|
Alors que
l'Opéra de Varsovie vient de décider de déprogrammer Boris Godounov de
Moussorgski au prétexte que c'est un opéra russe, Christian Merlin,
chroniqueur à France-Musique, revient sur l'épineuse question d'interdire des
œuvres musicales et de les réduire à une seule signification univoque :
« La décision de l’Opéra national de Varsovie de déprogrammer
Boris Godounov au prétexte que c’est un opéra nationaliste russe est une faute
autant qu’une erreur. Dans les mesures de rétorsion auxquelles on assiste dans
le domaine culturel, il faut plus que jamais garder la tête froide et savoir de
quoi l’on parle.
Il est
essentiel de faire une distinction précise entre :
- les institutions émanant de la puissance publique d’un État agresseur
- les artistes individuels, cas beaucoup plus délicat et nécessitant là encore
de bien faire la différence entre les quelques soutiens affichés d’un régime
combattu, et la majorité silencieuse d’artistes qui n’y sont pour rien et dont
beaucoup hésitent à s’exprimer dans un régime autoritaire où la liberté de
parole se paie cher
- les œuvres qui appartiennent au patrimoine commun et dépassent leur
appartenance nationale, le propre des grandes œuvres étant de ne pouvoir être
réduites à une signification univoque, à moins de faire preuve d’une vision à
courte vue.
Ainsi de Boris
Godounov, très mauvaise cible tant le personnage principal de l’opéra de
Moussorgski n’est pas le Tsar mais bien le peuple russe, dont Moussorgski,
progressiste et libéral, est solidaire, tandis que les milieux dirigeants sont
présentés dans cet opéra comme sanguinaires ou corrompus : on peut rêver plus
nationaliste !
Quant au Philharmonique de Zagreb, qui a déprogrammé une symphonie de
Tchaïkovski, il se trompe encore plus de cible. Car Tchaïkovski était justement
stigmatisé et raillé par les musiciens du Groupe des Cinq (Moussorgski,
Rimsky-Korsakov, Borodine, Cui, Balakirev) comme n’étant pas assez russe, trop
européen, trop occidental… Plus que jamais il est essentiel de garder le
contact avec la culture et la langue russe et leurs représentants d’hier et
d’aujourd’hui. Le meilleur message étant celui envoyé par cette soprano
ukrainienne et cette mezzo russe qui se sont longuement étreintes lors des
saluts à la fin d’une représentation d’Aida au San Carlo de Naples.
Tout comme
Saint-Saëns voulant interdire la musique allemande en 1914 (Ravel a refusé de
signer alors qu’il était au front), boycotter les œuvres revient à s’aventurer
sur un terrain glissant car quand on commence à interdire les œuvres, non
seulement on mélange tout, mais on utilise les armes que l’on dénonce chez
l’adversaire et ce n’est jamais de bonne politique. »