L’apprentissage
d’un instrument, qu’il soit à cordes frottées ou pincées, à vent ou à clavier,
c’est d’abord apprendre à maîtriser ses difficultés techniques pour acquérir
une totale autonomie afin d’aborder en toute indépendance les œuvres de toutes
les époques, de la renaissance au contemporain, et de partager ce plaisir
souvent inconnu avec ceux qui en ont la capacité, en formation réduite ou en
grand orchestre divers ou symphonique.
Les méthodes individuelles ancestrales
toujours en vigueur aujourd’hui n’ont jamais donné les résultats escomptés,
saufs pour les enfants doués, passionnés, travailleurs, courageux, musiciens
innés et considérés par leur professeur. Pour les autres, très souvent
majoritaires, ils n’auront acquit que de l’à peu près ou presque, qui les
conduira très souvent à l’abandon ou à avoir l’impression de savoir jouer (ce
que personne n’osera démentir) au sein de formations amateurs qui se contentent
de peu. Ils auront passé ainsi à côté du plaisir de bien jouer et d’acquérir
une culture musicale ouverte sur les grandes œuvres du patrimoine et sur le
répertoire musical de qualité.
Et pourtant, il existe un moyen
attrayant, passionnant, rapide et souvent spectaculaire : la pédagogie de
groupe qui est une pédagogie à part entière et qui doit être mûrie et réfléchie
avant sa mise en œuvre. Ce n’est pas une pédagogie de facilité. Elle ne
consiste pas à entasser quelques élèves dans une salle de cours pour les
obliger à écouter une leçon particulière lassante et décourageante, mais à réunir
3 élèves (ni 2, ni 4) et leur donner tour à tour, la possibilité de prendre les
commandes du cours en parfaite harmonie avec leur professeur et partager,
participer durant une heure et demie, à l’élaboration d’une progression active
et pensée. Ici, le professeur ne sera que le maître du jeu, guidant et
dirigeant dans la direction choisie, la plus opportune pour le groupe, mettant
en valeur les techniques et les idées de musicalité dans un échange culturel
fort et de première nécessité et ceci en essayant d’acquérir dans les délais
les plus courts, le maximum de connaissances pour s’exprimer en toute liberté.
En effet, l’idée reçue, selon laquelle, il faudrait dix ans, ou plus, pour
maîtriser son instrument est totalement stupide. Avec une bonne méthode appropriée,
trois ou quatre années devraient suffire pour jouer correctement une partition
de moyenne difficulté. Nous sommes loin du compte…
Pour mettre en application cette
méthode, il y a deux possibilités : réunir 3 élèves de même niveau, ou réunir 3
élèves de niveaux totalement différents, en faisant cohabiter un débutant, un
intermédiaire (fin 1er cycle)) et un grand (3ème cycle). Ne voulant pas affoler
et pousser au suicide les sceptiques (les professeurs sont souvent fragiles),
je vais commencer par la première possibilité.
Avec 3 élèves de même niveau, le
professeur se doit d’imposer un programme commun méthodique : progression
précise sur la méthode papier (les bonnes vieilles méthodes sont excellentes et
pas du tout démodées), progression construite avec intelligence à travers les
œuvres du répertoire spécifique à l’instrument et progression écrite par le
professeur lui-même en fonction du niveau des élèves et du groupe. Les effets
bénéfiques et spectaculaires seront l’écoute et l’imitation pour la justesse,
la recherche de la qualité du son, l’attaque de la note, et la musicalité.
Travailler les gammes, les intervalles, les arpèges dans tous les tons en
jouant les notes en alternance, en se les échangeant, d’abord à 1 voix, puis 2,
puis 3, est un exercice profitable à plus d’un titre et surtout, jamais
fastidieux. Aborder les morceaux du répertoire, en extrayant les difficultés,
en donner les explications nécessaires en les accompagnant d’un échange verbal
permanent sur le justificatif et le pourquoi de l’interprétation, est un
enrichissement spectaculaire de l’élève qui transgressera sa technique en une
interprétation musicale de qualité, ceci très souvent à son insu.
Un cours d’une heure et demie
hebdomadaire dans ces conditions ne peut être que passionnant et attractif,
mais évidemment fatiguant pour les protagonistes, d’autant plus que le
professeur n’aura plus le loisir (c’est-à-dire le temps) de répondre à son
portable, d’arpenter les couloirs pour discourir et de sortir respirer l’air du
dehors pour fumer sa dernière cigarette. C’est pourquoi, il devra s’astreindre
à ne pas dépasser deux cours par jour, s’il veut tenir jusqu’à la fin de
l’année, et obtenir les résultats escomptés.
Pour la seconde manière, plus ambiguë,
plus complexe, le professeur devra y apporter une attention toute particulière.
Avec son trio, de niveaux différents, dont chaque élève ne pratique pas encore
le même langage, il devra faire preuve d’une imagination fertile et jouer le
jeu des échanges permanents entre ces niveaux supposés incompatibles. Et
pourtant… Le plus grand conseillera le petit qui écoutera et « imitera » ses
deux aînés, l’intermédiaire donnera son point de vue sur ses deux camarades,
montrera ses capacités par rapport à leur travail, et le plus petit,
bénéficiant des conseils des plus grands, s’épanouira davantage. Le professeur
guidera tout ce monde sur le chemin qu’il aura choisi auparavant, et échangera
véritablement sur tous les problèmes liés à l’instrument, puisque trois
possibilités de niveau lui sont offertes en permanence. Il devra bien sûr tout
contrôler pour éviter les dérives qui ne manqueront pas de se produire. Cet
énorme travail portera ses fruits grâce à l’échange permanent qui sera la base
de son enseignement.
Rien de tout cela n’est utopique. Cela
a déjà été expérimenté et mérite qu’on y réfléchisse, ces indications n’étant
qu’un plan de base pouvant être modifié au gré du professeur. L’essentiel est
de comprendre que le cours individuel n’est qu’une facilité qui apporte peu à
l’élève, le fait peu progresser et qui entraîne le professeur dans des
habitudes de confort imaginaire, qui, au bout de quatre ou cinq années, le met
dans une situation d’ennui profond, parce que, installé dans un travail de
répétition permanent, dont il ne peut que se lasser. Attention à la dépression
!...
Hervé Gallien, 21 septembre 2008